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Rubrique Art-icles


Les miroirs italiens : les glaces (article du 01 novembre 2001),

Suite à la chute de l'empire romain d'Occident, les temps troublés portent préjudice à la transmission des savoir-faire artisanaux. Ainsi en est-il pour la production verrière. L'Italie seule, et surtout Venise continuera à faire fructifier les acquis antiques. Certains documents attestent la présence de verriers au treizième siècle tandis que les pièces réalisées au quinzième témoignent de leur essor. En 1268, les fiolari, fabricants de feuilles de verre s'associent en guilde parfaitement organisée; et en 1293, la Sérénissime incite les verriers à s'installer à Murano. Le capitolare (organisme créé par les verriers et la République de Venise afin de gérer la production) né en 1271 restera en vigueur pendant cinq cents ans. Celui-ci résolvait aussi bien des questions d'ordre technique : essence de bois utilisé pour alimenter les fours, nombre de veille, durée du travail, qu'il protégeait les ayant droit de chacun. Surtout, les déplacements des verriers étaient sévèrement surveillés et les émigrants lourdement punis. Durant la seconde moitié du quinzième siècle, Murano mis au point le cristal qui devait assurer la prééminence de ses verriers et tisser des liens commerciaux avec le reste de l'Europe. Parallèlement à cette activité, les miroitiers produisaient aussi pour l'étranger, jusqu'au dix-septième siècle, époque à laquelle les Français élaborèrent la technique du coulage des glaces, et supplantèrent Venise. Les autres pays européens, ayant comblés leurs lacunes dans le domaine du verre, Murano déclina à partir du dix-huitième siècle. Ainsi, l'île qui comptait, à son apogée, près de quatre mille personnes liées à la production verrière, n'en comptait plus que 383 en 1773. Venise connut cependant un sursaut d'activité au dix-huitième siècle grâce à Giuseppe Briati, inventeur du lustre en cristal. En 1806, toutes les guildes de Venise furent dissoutes marquant la fin d'un artisanat de qualité et l'entrée dans l'ère industrielle. A la fin du seizième siècle, les miroirs de métaux précieux se raréfient, ainsi que ceux de cristal de roche.

Deux récits anciens nous permettent de violer les secrets des maîtres vénitiens. En effet, le président de Brosses décrit à M. de Blancey le 29 août 1739 cet art : "Je reviens en ce moment de Murano où j'ai été voir travailler à la Manufacture de glaces. Elles ne sont pas aussi grandes, ni aussi blanches que les nôtres, mais elles sont plus transparentes et moins sujettes à avoir des défauts; on ne les coule pas sur des tables de cuivre comme les nôtres, on les souffle comme des bouteilles. Il faut des ouvriers extrêmement grands et robustes pour travailler cet ouvrage, surtout pour balancer en l'air ces gros globes de cristal qui tiennent à la longue verge de fer qui sert à les souffler. L'ouvrier prend dans le creuset du fourneau une grosse quantité de matière fondue au bout de sa verge creuse; cette matière est alors gluante et en consistance de gomme. L'ouvrier en soufflant en fait un globe creux, puis à force de le balancer en l'air et de le présenter à tout moment à la bouche du fourneau, afin d'y entretenir un certain degré de fusion, toujours en le tournant fort vite pour empêcher que la matière présentée au feu ne coule pas plus d'un côté que de l'autre, il parvient à en faire un long ovale. Alors un autre ouvrier avec la pointe d'une paire de ciseaux faites comme des forces à tondre les moutons, c'est-à-dire qui s'élargisse en relâchant la main, perce l'ovale par son extrémité. Le premier ouvrier qui tient la verge avec laquelle le globe est attaché le tourne fort vite tandis que le second lâche peu à peu la main qui tient les ciseaux. De cette manière, l'ovale s'ouvre en entier par l'un des bouts comme un marli de verre. Alors on le détache de la première verge et on le scelle de nouveau par le bout ouvert à une autre verge faite exprès. Puis, on l'ouvre par l'autre bout avec la même mécanique ci-dessus décrite. Voilà donc un long cylindre de glace d'un large diamètre. On le représente en le retournant à la bouche du fourneau pour s'amollir un peu de nouveau et, à sortir de là, tout en un clin d'œil, d'un seul coup de ciseau l'on coupe la glace en long et promptement on l'étend tout au long sur une table de cuivre. Il ne faut plus après que la recuire davantage dans un autre four puis la polir et l'étamer à l'ordinaire."

Autre récit de référence, "le Voyage d'un français en Italie", paru dans les années 1765, s'attarde lui aussi sur les verreries muranèses : "Les arts sont plus cultivés à Venise que dans le reste de l'Italie. Les glaces de Murano vont partout, il n'y a que celle de France qu'on leur préfère. Il n'y a que la maison de Jean Mota dans l'île de Murano où l'on fasse des glaces. On y travaille que deux jours par semaine et une douzaine d'ouvriers qui y sont suffise pour souffler 600 glaces dans la matinée. L'on fait de la frite avec de la cendre d'Espagne et de la terre de Vicence, dans un fourneau à part, en 6 heures de temps, et cette frite mise dans un creuset, et cette frite mise dans un autre creuset pendant sept à huit jours sert à faire le verre. On souffle des glaces de quatre pieds et demi (environ 140 centimètres) en tous sens, mais communément elles n'ont pas plus de 3 pieds (environ 90 centimètres). Après les avoir soufflées avec beaucoup de peine, on les coupe, on les étend sur une pierre. On les prend avec une pelle de fer pour les mettre au-dessus du fourneau où elles se refroidissent peu à peu. Au seizième siècle, les miroirs de métaux précieux se raréfient ainsi que ceux en acier, cristal de roche, étain ou cuivre.

Venise fut le principal centre de production de miroirs. En effet, comme nous l'avons vu précédemment Murano centralise quasiment toutes les demandes européennes. Et d'autre part deux procédés révolutionnaires pour l'industrie du verre y sont faites : le verre cristallin et le soufflage au manchon. Les glaces de grande taille n'apparaissent que dans la seconde partie du dix-septième siècle, mais on réalisait déjà des décors spectaculaires en juxtaposant des plaques de petites dimensions : la mode des cabinets de miroirs se répand ainsi dans les années 1660. Le miroir devient alors un élément primordial de l'architecture d'intérieur.

"Cinquante miroirs de Venise,
Des plus riches et des plus beaux
Servoient d'agréables tableaux
Pour représenter les figures,
Les grimaces, les graces, les apats,
les ris, les mains et les bras
De tout la belle cabale
Qu'on festoyaient dans cette sale."

(poème commémorant le bal de l'archevêque de Sens en 1651)



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